La grise se mouvait le long des rocheuses, l'eau fine tombant sur son dos. Elle était trempée, mais n'en avait cure. Son toupet dégoulinait dans ses yeux, et cela avait beau la brûler, elle n'y prêtait même pas attention. Elle était une jument de sang et imprévisible. Elle piétinait presque le sol, comme si elle dansait avec cet élément.

Le mâle se tenait près d'un rocher à fixer l'horizon, simplement ainsi et ne déviant point son regard, comme s'il était replongé dans son passé.

Pour Danzel, cela faisait longtemps que son passé n'existait plus. Elle se résumait à un esprit, frappeur ou non, qui flottait dans le monde au gré de ses envies. La chair n'était pour elle qu'un substitut, quelque chose de tout bonnement superficiel. Elle fini par s'arrêter, très soudainement. Son regard vide et obscur se porta sur une silhouette en amont, qui observait l'horizon. Elle l'observait simplement, il paraissait loin.

Soudain, l'adulte sortit de son passé et tourna la tête quand son regard s'arrêta sur une jument blanche qui le fixait. Il fronça les sourcils et plaqua les oreilles, aucune approche.

Les formes envoûtantes, la jument ne fit pourtant rien pour attirer son attention qu'il l'observait déjà. Les oreilles à demi plaquées contre son crâne, elle soutenait son regard noisette. Elle était trempée, dégoulinante. Paraissant comme la déesse des eaux. Cette échange silencieux pouvait durer des heures.

La pluie était froide, mais au moins elle faisait du bien au mâle qui avait décidé de s'approcher de la jument et de la jaugeait de plus près. « Tu es? » lança-t-il, simple curiosité.

La jument l'observa s'avancer. Il avait enfin comprit qu'elle ne bougerait pas d'un pouce pour aller vers quelqu'un - sauf peut-être quand elle est dans un bon jour ou qu'elle avait quelque chose de spécial à dire. Enfin, l'étalon doré lui demanda son identité. Elle ferma ses paupières durant quelques secondes. Qu'avaient-ils tous avec leur notion d'identité ? Elle n'était personne. « Un spectre. » Souffla-t-elle simplement, sa voix de sirène teintant dans l'air.

La voix de la jument retentit dans les rocheuses, ce lieu si lointain et montagneux. Il était en désaccord et quand cela arrive, il ne faut pas le contredire, ce serait une grave erreur de la part des autres. Joakin, quand il avait une idée en tête, il ne l'avait pas ailleurs et s'entêtait à garder son idée. Alors, c'est en grognant que l'horreur pouvait débuter enfin et il ne se gêna pas pour montrer son désapprobation à l'égard de la justification de la blanche. « Non. » articula-t-il, machinalement en serrant la mâchoire et en paraissant légèrement plus tendu. Il faisait un peu peur, là, maintenant. « Tu n'est pas un spectre ni même un fantôme ni même rien du tout, je sais que tu es quelqu'un. Fais-moi pas chier en disant que tu n'est rien en ce monde parce que tu vis toujours dans le passé et que tu sais pas quoi faire d'autres que continuer ainsi. Tu te cache peut-être, mais avec moi, ça n'ira pas de ce pas. T'a un nom et j'le sais, alors fais moi pas chier. Si je dis que t'en a un, tu devrais me le dire au lieu de tourner autour du pot. » rétorqua-t-il, aussi sèchement et rudement qu'avec n'importe qui. Il était difficile de le cerner, mais quand Akin avait une idée en tête et bien, elle n'allait pas ailleurs, malheureusement.

Pour qui se prenait-il ? Analysant, Danzel ne put se retenir de sourire. Il semblait lui faire des reproches qui auraient très bien pu s'attaquer à lui-même. Un petit rictus moqueur sur le bord des lèvres, elle décrivit un demi-cercle autour de l'étalon doré. Qu'il ne la sous-estime pas, il semblait prendre beaucoup d'aises avec elle, mais il ne savait pas à qui il avait affaire. Certes, elle avait des formes typiquement féminine, certes, elle ne paraissait pas d'un naturel combattante. Mais tout cela n'était qu'une apparence. Elle pouvait se battre contre des équidés beaucoup plus gros qu'elle, et remporter la victoire. Elle le frôla au passage. C'était un avertissement. « Avoir un nom c'est être en prison. » Murmura-t-elle comme pour elle-même.

L'étalon était une tête dure, il ne lâchait jamais prise sur ses décisions et quand elles étaient encrées dans sa caboche, plus rien ne pouvait l'arrêter. Cette jument pouvait être la plus forte, la plus intelligente, la plus incroyable et tous les adjectifs de ce monde, Joakin ne se laisserait absolument jamais marcher sur les sabots comme elle le faisait à l'instant. « Tourne autant que tu l'souhaite, ça demeurera comme c'était. » souffla-t-il, d'une voix rauque et agressive.

Deuxième avertissement, elle claqua sa mâchoire à quelques centimètres à peine de son oreille. Qu'il prenne garde, car elle était bien capable du pire, la jolie poupée de cire. Ses yeux obscurs se rivèrent dans ceux de l'étalon. Ce qui était le moins drôle, était que c'était beaucoup trop facile pour elle de le mener à bout, il connaissait le chemin tout seul. « Tu ne m'intéresses pas. » Trancha-t-elle en faisant volte-face, l'abandonnant là où il était planté.

Le mâle la laissa faire et sourit lorsqu'elle claqua sa mâchoire à quelques centimètres de lui. Il soupira et imita la jument, la trouvant si peu amusante. « Tu ne m'intéresse pas plus qu'il faut. Et, alors? Vas-y, ne te gêne pas. Décharge-toi sur moi, pauvre lâche. » cracha-t-il, agressivement et en ricanant doucement, ayant toujours son idée en tête. Ça l'intéressait bien de voir ce qu'elle était capable de faire.

Se décharger sur lui ? Comment pouvait-on décharger quelque chose de complètement vide ? Il voulait obtenir quelque chose d'elle, seulement elle n'allait pas se laisser si stupidement duper. De toute façon, il ne lui incitait aucun intérêt de n'importe quelle sorte. Il était banal. Aussi banal que nous sommes tous complexes. « De telles insultes prouvent ta stupidité. » Fit-elle avec un sourire amusé, allant s'abreuver à la cascade, le nez en l'air, laissant les gouttes tomber dans sa bouche.

Il l'a fixait, ne s'arrêtant pas pour si peu et soupirant. « Non, tu es lâche. » lâcha-t-il, sérieusement et en s'approchant sans aucune crainte. Il était peut-être banal, mais ce que Joakin était lui importait que très peu et puis, que tous le croit stupide, tant mieux, ce serait plus simple de les surprendre dans le dos, par la suite.

Elle se figea alors, et se retourna subitement en entendant ces pas dans son dos. Elle lui fit face. « Stop. » Fit-elle d'un ton ferme, les yeux un tantinet plissés. « Qui es-tu ? » Elle paraissait si étrange, si imprévisible. Elle avait vraiment la figure fantomatique que les mère décrivait dans les histoires effrayantes pour leurs enfants, sauf que Danzel était irrévocablement - et peut-être un peu malgré elle - attirante. Elle avait tout pour plaire et cela depuis son plus jeune âge ; cela participait souvent au fait qu'elle soit évitée : elle était trop belle pour être étrange, et ça repoussait autrui. « Tu as le regard de celui qui prépare un mauvais coup. » Lâcha-t-elle, énigmatique.

Tout le monde avait l'habitude de poser les mêmes questions, jour après jour, sans en changer le contenu. Joakin baissa la tête et souffla doucement dans ses naseaux, laissant une légère brume blanchâtre s'en échapper. « Je n'suis que l'ombre de moi-même. » avoua-t-il, en se plaça en parralèlle avec la blanche et l'observant du coin de l'oeil, neutre. À l'affirmation suivante, un rire surgit pour se taire à tout jamais et l'étalon frôla la femelle, simplement comme avertissement à son tour. « Peut-être. Mais, nul ne pourra le savoir autre que moi. » Sa voix grave retentit et il ferma calmement les yeux. Son coeur était malheureusement fermé et difficile d'y accéder.

« Je connais les êtres tels que toi. » Fit-elle, ayant un flash au sujet des trois étalons qui avaient perverti sa mère et brisé sa sœur. Il n'y avait aucun émotion ni sur son visage, ni dans ses paroles. Elle était une plaque de glace imperméable et incassable. Elle avait comprit son petit jeu, quoi qu'il en soit, comme la plupart des autres êtres de cette planète en partie détruite, elle ne l'appréciait guère.

Peut-être semblait-il ne pas avoir de coeur et de gentillesse, mais elle ne le connaissait définitivement pas pour juger aussi rapidement l'étalon. Il secoua la tête et pencha la tête sur le côté, s'éloignant d'elle un tout petit peu, préférant prendre une distance convenable. « Tu as tord de juger ceux que tu ne connais pas. Ça pourrait te retomber dessus plus tard. Les étalons de mon genre, il n'y en a pas partout et je ne suis pas ce que tu penses que je suis. Détrompe-toi. » souffla-t-il, un regard mystérieux accroché sur son visage et plus calme. Joakin n'était pas un mâle méchant, seulement qu'il avait vécu trop de choses...

Peut-être se trompait-elle. Même les plus sages, ceux qui en savait plus qu'elle, pouvaient se tromper. Seulement, la jument ne sera pas aisément convaincue. Elle connaissait la manipulation pour savoir comment l'exercer et l'avoir observée sur d'autres. Certains devaient très bien cacher leur jeu. Elle ne répondit rien, ne préférant plus s'attarder sur la chose. Elle se détendit légèrement en apparence.

Silence. Joakin préférait que la jument se taise à tout jamais et il détourna le regard, un peu patient. « Que recherches-tu? Pourquoi es-tu venu ici? Sur les terres de Horüna Slavdia? » demanda-t-il, curieux et sérieux à la fois.

« Je ne cherchais rien. C'est cet endroit qui m'a trouvée. » Et en plus de cela, elle disait la pure vérité. Elle n'avait pas vraiment voulu se retrouver ici, pas plus qu'elle n'aurait voulu se trouver ailleurs. Elle sentait ses membres la piquer légèrement, alors qu'elle observait ce mâle.

Elle était normale, tout ce qu'il y avait de plus ordinaire chez une jument et Joakin inspirait tout l'air nécessaire pour le rejeter en expirant. « Je comprend. » souffla-t-il, en s'approchant un peu plus sans être trop près et il semblait distant, n'aimant pas ouvrir son coeur aux autres. Ce qu'il voulait s'était le fermé.

Seulement, son regard lui n'était pas si fermé que cela, et peut-être aurait-il dû davantage se concentrer sur ce dernier plutôt de que de commencer par la fin. Elle ne dit rien, mais elle voyait bien une faiblesse chez cet étalon. Il était de ce genre de mâle à avoir une carapace dure, certes, mais avec un noyau chaud et soyeux. Là était la différence entre les deux équidés. Danzel n'avait pas de cœur. Depuis sa naissance, c'était comme si elle était suspendue dans le temps, et que son cœur n'avait jamais été capable de battre pour la fournir en chaleur. « Tu as vécu des choses qui ont marqué ton esprit et scellé les parois de ton cœur. » Lâcha-t-elle finalement, pour lui délier la langue.

Il garda le silence et ferma les yeux. « Oui, tu as raison. Mais, la confiance ne se gagne plus. » expliqua-t-il, en plongeant son regard dans celui de al femelle, il voulait y lire quelque chose, mais en vain. Elle devait avoir un coeur quelque part, sans aucun doute, non? Joakin en avait un, effectivement et quand il laissait une personne y entrer, c'était parce qu'elle avait gagné sa confiance et c'était quelque chose de très difficile à obtenir. Quand quelqu'un entrait, il ne ressortait jamais...

La jument l'observait, à la fois durement et comme une mère couvant son enfant. Elle était indissociable. Elle inspira profondément et soupira en jetant un coup d'oeil vers le paysage environnant, la ligne d'horizon se découpant entre deux parois de ce petit canyon. « Je ne pense pas que s'attacher à des tiers personnes soit une nécessité dans la vie. » Fit-elle avec sa voix de sirène, exposant pour la première fois une des choses qu'elle pensait vraiment.