Il ne comprend pas. Il s'immobilise, hébété et dérouté. Que fait-il donc ici ? Il se souvient vaguement avancer dans un lieu glacé, où sa démarche peu assurée était entravée par la poudreuse immaculée. Et le temps d'un cillement, il se retrouve ici. Il plisse les yeux, tentant de rendre sa vue plus nette. Le soleil est éclatant, trop brillant. Soit il s'est téléporté, soit ... sa mémoire lui joue encore des tours.

Il soupire. Déjà, le fil de ses pensées se rompt et ... à quoi songeait-il déjà ? Il ne se rappelle plus. Mais, que fait-il ici ? Il se souvient vaguement avancer dans un lieu glacé, où sa démarche peu assurée (...) Oh attendez. Son esprit tourne en rond, ressassant les mêmes réflexions, incapable de se remémorer les choses les plus basiques. Il se cogne au brouillard qui mord son âme. Il tente d'avancer d'un pas. Il tremble et manque de chuter. Cette simple foulée le laisse essoufflé et pantelant.

Mais son corps brûle de toutes les cicatrices qu'il s'est déjà infligé. A l'idée de se blesser une fois encore, il se sent défaillir.

Il est faible. Il est pathétique.

J'étais calme, posée, attendant un bruit qui me fasse bouger de cette position immobile. Ma folie était mise de côté pour l'instant, et rien ne semblait me faire croire qu'elle allait surgir à tout moment. Hormis peut-être l'odeur de l'étranger là-bas. Sans attendre, je sautai sur l'occasion. J'avais envie de craquer aujourd'hui ! D'un petit galop, je traversai la plaine ensolleilée. Au loin, la silhouette alezane d'un étalon se dessina. Un doux sourire me prit aux lèvres en me disant que ma victime serait un garçon, plutôt joli vu de loin.

Cependant, l'ombre devint une réalité tout différente. Je ne m'étais pas attendue à ça à vrai dire. Il était maigre, tremblant, affublé de multiples cicatrices toutes aussi laides les unes que les autres. Je me stoppai net. Comment un mâle comme lui, qui paraissait si beau de là-bas, pouvait finalement être aussi abîmé ? Çà n'était pas l'usure du temps qui avait fais pareilles blessures à l'inconnu. C'était une chose bien pire visiblement... Déjà, des marques de dents étaient encore fraîches sur son flanc. Seul lui avait pût se les infliger. Non pas que je sois devin, mais l'angle dans lequel elles avaient été faîtes prouvait qu'il était l'auteur de ses propres entailles.

Je fût complètment ébahie face à ça. Mon envie de me battre disparu en voyant la réalité se poser face à moi. Je me tût, incapable de prononcer un mot, une phrase. J'eus presque envie de pleurer à sa place. Non pas qu'il me paraissait pathétique, mais parce que ça souffrance à lui, je l'a sentais au plus profond de moi en posant mes yeux sur lui.

Cependant, ce n'était pas un spectacle, et lorsqu'il manqua de tomber, un élan m'emporta jusque sous son encolure massive. Je l'aidai à se redresser, espérant qu'il ne voit pas mon geste comme une marque d'aide stupide d'une jument qui pense croiser un handicapé. Après l'avoir aider, je me reculai à une distance normale et lui lançai de ma voix de déesse :

-Qui as osé te faire cela ?

Comme il se déteste. Cette enveloppe de chair odieuse et balafrée, ce corps faible et misérable. Comme il se hait. Cet esprit qui déraille, cette âme sur laquelle il ne peut pas compter. Et dans le fond de son inconscient, il y a cette voix perfide qui lui susurre que de toute façon c'est bien fait, il l'a mérité ... Dès l'instant où il est né, poulain malhabile sur ses longues jambes disgracieuses - le sort a décidé d'en faire un de ces souffre-douleurs, une de ces marionnettes qu'on s'amuse à désarticuler. Il n'a jamais rien demandé et pourtant c'est lui que la vie a frappé.

Il manque de tomber et aucun réflexe ne se déclenche. Ses perceptions engourdies le laissent inerte. Il aurait pu imaginer sa chute mais ses songeries ne parviennent pas à leur terme. Soudain, un corps chaud se glisse sous le sien, une présence qu'il a été incapable de sentir arriver. Quel piètre animal sauvage fait-il ! Il crèvera sous les crocs du premier fauve venu.
Leurs peaux sont en contact et immédiatement c'est comme si des milliers d'aiguilles lui transpercent sauvagement l'épiderme, c'est comme si un million de flammes brûlantes l'agressent et le font souffrir. Enraillé dans son mouvement il peut se redresser et d'un bond tremblant il s'éloigne, instaurant une distance vitale.

Il lève la tête, détaillant la nouvelle venue. Vêtue d'une robe d'ébène, elle l'observe elle aussi et il grince des dents en croyant remarquer dans ses yeux une lueur de pitié. Son sang se glace, une douleur sourde martèle son crâne.

« La vie. » Sa voix est aussi basse qu'un murmure et usée comme un vieux morceau de métal rouillé. Il marque un long instant de silence, avant de reprendre. « Je ne suis pas cassé. »

Oh si, bien sûr qu'il l'est. Il est tordu, il est brisé. Peut-être que ça n'est pas irréversible,  mais croit-il vraiment pouvoir tromper les autres ?

Ma folie avait réussi à me déserter en un rien de temps. Viouf ! Envolée. Comme si elle n'avait jamais existé. D'ordinaire, les faibles, les malades, les "inutiles", je m'en débarrassais comme de la peste. Incompréhensive face à leur détresse et leur souffrance. Incompréhensive de leur manière de tout abandonner par la peur de souffrir. Incompréhensive face au fait de baisser les bras. Alors, cette fois, pourquoi ça avait été différent ? Je suis pourtant la même. Je n'ai pas pût changer en seulement 2 minutes. Seulement cette fois, je vis sa souffrance. Elle jaillissait de ces cicatrices terribles, de cette plaie encore fraîche d'il y avait certainement deux jours. Elle était là ! J'aurai pût presque la toucher si je m'étais approchée un peu plus. Cette fois, je compris. Je compris que la douleur n'était pas seulement physique, mais qu'elle était aussi psychique, comme lorsque j'ai perdu ma famille. Comme lorsque je les ai tous vu tomber au fond de cette immense faille. Ce jour-là, ma souffrance physique atteignit également mon moral...

Mes idées n'ont pas changées cependant. Je suis toujours en chasse des peureux et des faibles. Mais pour cet étalon, j'ai fais une exception. Non pas par une pitié quelconque, mais par compréhension d'une souffrance sans égale. La vie l'avait blessé, tout comme elle m'avait fais mal à mon tour. D'une autre manière certes, mais je l'avais ressenti au plus profond de mon être, et par cela, elle en avait profité pour jouer des tours à mon état psychique. Au lieu de me garder telle que j'étais, elle m'avait transformée et Dr. Jeckyll et Mrs. Hyde ...

Son regard presque accusateur me laissa pantoise. Je n'avais que faire de ses reproches silencieux. Je m'étais sentie obligée de ne pas le laisser se rendre encore plus faible en le laissant s'écraser lâchement sur le sol. Il m'avait fallut l'aider pour mieux le faire remonter. Cela prendra un temps certain, mais un jour, il en sera sans doute capable. Et même si ça ne fonctionne pas, au moins, j'y aurai cru...

-Je ne suis pas là pour te juger. J'ai déjà du mal à ne pas me briser moi-même alors toi ... Mais ...

Laisse moi t'aider ... Pourquoi ce besoin hautain Hermès ? Qu'y gagneras-tu ? (Oui, elle se parle à soi-même, c'est à savoir ) J'y gagnerais la chance d'avoir essayé de redonner espoir à quelqu'un différent de moi.

Peut-être qu'ici, il s'est trouvé un ange gardien. Avec une nuance peu orthodoxe, avec des idées bien arrêtées, et pourtant elle ne songe qu'à l'aider. S'il entendait ses pensées il se serait enfuit, effrayé par le fait qu'on souhaite le soutenir. Sans même le connaître, sans rien savoir de ses expériences passées. Mais il ne sait pas ce que pense la femelle, alors il se contente de fermer les yeux. Peut-être que lorsqu'il les rouvrira, elle aura disparu.

Mais elle est toujours là. A l'observer avec cette drôle de lueur, qui n'est en fait que de la bienveillance mais il ne le sait pas, il n'a jamais connu cela.
Le brouillard se fait un peu moins épais mais il semble s'étendre, encore et encore, avec un malin plaisir. L'envie de se blesser se fait de plus en plus forte. Il en est malade d'avance, mais cette faiblesse qui l'irrigue et pire que tout.
Il se souvient de la réaction de l'autre jument sombre rencontrée dans cette ville abandonnée et putride. Ce regard de dégoût qu'elle lui a lancé tandis qu'il se précipitait sur une poutre de fer effilée ... Sans doute croyait-elle qu'elle l'atteindrait. Mais rien ne le touche. Il a bien trop subi pour cela. C'est pourquoi il se fiche de savoir comment elle, elle réagira. Parce que l'avis des autres ne l'intéresse pas.
Il choisit de terminer sa phrase qu'elle laisse en suspens.

« Mais tu vas tomber, tu vas couler. Tu vas te briser, si cela n'est pas déjà fait. »

C'est sur ces paroles qu'il se détourne abruptement, manquant de chuter une nouvelle fois. Se dirigeant en une allure tremblante mais déterminée vers un rocher grisâtre. Sans se donner le temps de tergiverser, il fonce dessus tête en avant, claquant plusieurs fois celle-ci jusqu'à ce qu'un filet de sang dévale sa joue. Les dents serrés, il grogne de douleur.

Cette fois-ci, je sentais sa hargne et sa douleur. Elles me touchaient d'une manière que je ne comprenais pas. Jamais rien ne m'avais autant relié à quelque chose ou quelqu'un qui m'était inconnu. J'avais voulu le tuer. A présent, je souhaitais l'aider. Non, vraiment ! Je ne comprenais pas. Seulement, maintenant que tout était en route, je voulais l'aider et ne pas m’arrêter. Son regard me perçait de toutes parts, accusateur jusqu’au bout de sa pensée. J’avais l’impression qu’il me détestait. Cependant, ce n’était pas la première fois qu’on me haïssait, j’avais l’habitude. Mais lui … Ca me faisait presque mal de savoir qu’il puisse me haïr à ce point. Aussi étrange fut-il, ce sentiment d’être rejetée me rendit plus convaincue du fait qu’il fallait que je le sorte de là.

Il avait terminé ma phrase. D’une manière lâche et dépourvue de sentiments quelconques sur son visage. Ou alors, juste une once de détermination. Je n’eu pas le temps de répliquer un mot avant qu’il ne se jette dans la gueule d’un … Rocher. Un bruit sourd retenti à maintes reprises. Un coup, deux coups, trois coups, … Sur les trois restant, mes paupières se fermèrent, incapable de supporter la vue du sang qui se mettait à sortir. Jamais le sang ne m’avait autant dégouté. J’aime ça pourtant, voir ce liquide pourpre apparaître sur le visage d’un lâche, d’un malade mental. Mais là, non. J’en ai peur. Pour lui essentiellement. J’attendis qu’il en finisse.

Un gémissement de douleur me prévint que son supplice s’en était arrêté là. Alors je m’avançais, doucement, qu’il puisse entendre mes pas. Au passage, j’attrapais une touffe d’herbes sauvages que je mâchouillais jusqu’à obtenir une pâte bien épaisse. Une fois près de lui, je touchais son visage pour le prévenir de mon arrivé et déposais la mousse verdâtre sur sa plaie avant de reculer.

-Je n’avais pas terminé … dis-je avec un brin d’autorité. Mais je suis sure que tu réussiras à te relever et que je crois en celui qui se cache au fin fond de ton cœur.

J’avais débité ça sans gène, sans honte particulière. J’avais dis la vérité, rien que la vérité. J’y croyais et j’espérais qu’il allait y croire à son tour.

Sa tête cogne avec violence, ses membres manquent de céder, pitié que la douleur cesse - sa tête va exploser. Il veut crever, il veut se jeter sur le rocher encore et encore jusqu'à ce que son âme cède, que son corps craque.
Et puis la brume frémit et s'évapore tandis que le monde retrouve sa netteté. Son esprit s'élève, ses perceptions s'enchaînent, il retrouve sa stabilité. Soudain, la jument de jais s'approche, avance ses naseaux vers lui et ... non ! Elle ne le touchera pas. Il grogne primitivement tout en bondissant pour s'éloigner. Il refuse tout contact, il déteste ça - si elle l'effleure il la frappera jusqu'à ce qu'elle soit réellement brisée, au sens propre cette fois.

Il la toise avec colère, la tête hautement portée - il se tient bien droit sur ses aplombs. En quelques minutes, il est aux antipodes de son attitude précédente ; autant il était auparavant faible et chétif, à présent ses muscles roulent avec force sous sa peau luisante et il semble particulièrement vif. Il conserve cette distance avec elle, distance inviolable. Si déjà cohabiter avec les autres est difficile pour lui, la proximité physique est tout simplement impossible. Il ne supporte pas. Ses paroles remuent désagréablement quelque chose d'enfoui en lui, et automatiquement il se montre plus sarcastique encore. Inconsciemment, il cherche à se protéger.

« Hm, je vois. Tu es une sorte de peace and love optimiste, c'est ça ? »

Sa voix n'est plus saccadée, simplement éraillée et hargneuse. Elle baisse d'un octave, se montrant plus rauque encore. Il n'aime pas cette aura prévenante qui émane d'elle. Comme si elle souhaite l'aider sans rien demander en retour alors que lui ne le souhaite pas. De toute façon, il mérite de mourir sur le bas-côté d'une route, comme un chien. Parce qu'il est pitoyable, minable et pathétique.

« Mais on ne vit pas dans ce genre de monde-là. »

Je le regardais s’échapper avec  dextérité. Tant pis pour lui…

-Ca t’aurai pourtant soulagé.

Je déposais tout de même la pâte dans un petit bout de bois tout près de mon pied. Ce changement de caractère me surpris. Il devint subitement colérique et fier, en seulement quelques secondes. C’est comme si la douleur l’avait réveillée. On dirait moi lorsque ma folie revient. Sauf que moi, je ne peux pas toujours la contrôler. Alors que lui, une simple douleur insupportable et il revît… Peut-être que si j’essayais … J’hésitais à me lancer à mon tour sur le gros caillou ensanglanté.  J’essayerai si ma folie me prend tient ! En attendant, j’observe ses muscles qui roulent, ses membres devenus forts et robustes, son visage dur et sur de lui. Sa faiblesse est partie. Et pendant ce temps, je redeviens le côté noir de ma personne. Le fait de le voir aussi bien me rend … Non ! Je ne la laisserais pas faire ! Je ferme les yeux et respire fortement. Retourne te cacher toi ! Je n’ai pas le droit de flancher.

-Une sorte de peace and love ? Non pas vraiment. Tu ne sais rien de moi ! Et bien au contraire, je ne suis pas optimiste. Ma vie est sans doute tout aussi compliquée que la tienne. dis-je à la fois agacée mais calme.

Je le regardais profondément, tentant toujours de me contrôler. Quand arriverais-je à te faire disparaître toi ? J’étais tellement concentrée pour ne craquer que je m’aperçus un peu tard que j’avais coupé ma respiration. Doucement, mes sens devinrent flous et mes membres se dérobèrent sous moi. D’un coup, sans m’y attendre, je chutais au sol, perdue.  J’entendais vaguement les paroles de l’étalon et bredouillais un « C’est pas faux … » que moi-même je n’entendis pas. Je tentais tant bien que mal de recouvrer mes esprits, sans résultat … Mais soudain, une douleur à l’épaule me pris. Me redressant en sentant la chose, je finis par apercevoir une plaie commencer à saigner abondamment une fois que ma vue fût plus nette. Voilà ce que c’est que de tomber ridiculement sur une pierre… Et dire que moi, je ne l’avais pas fais exprès.

-Et merdre…